Publié le 6 juil. 2024

Le Laonnois et ses vendangeoirs

La viticulture a fortement marqué le Laonnois du haut Moyen Age au XIXème siècle. La vigne est attestée pour la première fois dans le testament de saint Remi. Au XIIème siècle, elle est à l’origine de la richesse des villes et des villages du pays comme Laon, Bruyères et tous les villages situés sur la côte de l’Île-de-France, ainsi que la vallée de l’Ailette entre Craonne et Coucy-le-Château.

Un pays de Cocagne

De manière significative, la citoyenneté laonnoise est accordée aux possesseurs de vignes comme aux propriétaires de maisons. La renommée des vins de Laon et de Coucy s’étend alors jusque dans les Flandres et le Hainaut.

Au XVIème siècle, les viticulteurs laonnois profitent de la législation royale : un édit de 1577 interdit la production du vin dans un rayon de vingt lieues (88 km) autour de la capitale.

Les vignobles situés à proximité de cette barrière, comme ceux de Château- Thierry et de Soissons, produisent en quantité au détriment de la qualité. Handicapé par les coûts de transport, le vignoble laonnois tire son épingle du jeu en misant sur la qualité. Car le vin du Laonnois est très bon ! L‘un des plus renommés du royaume, il surpasse alors le vin de Beaune, et figure jusqu’au règne de Louis XIV sur toutes les tables royales, notamment à l’occasion des sacres.

Sa qualité ne se dégrade qu’à partir de la Révolution, notamment lorsque les vignes ecclésiastiques sont vendues à des propriétaires moins scrupuleux, qui cherchent à produire en plus grande quantité. Le déclin se poursuit lentement au XIXème siècle, avec les attaques de pyrale ou de phylloxéra, et surtout à cause de la concurrence des vins du Midi, transportés par voie ferrée.

Détruites par la Grande Guerre, les dernières vignes ne sont pas replantées. Selon Maxime de Sars, « le vendangeoir est l’expression architecturale de la passion d’une région pour la viticulture » Le terme de « vendangeoir » typiquement laonnois dans son acception étroite, apparaît au XVIIIème siècle, pour remplacer celle de « maison vendangeoise ».

Il s’agit d’un bâtiment accroché à flanc de coteau, composé au rez-de-chaussée d’un cellier, qui donne directement sur des caves creusées sous la montagne, et du logis à l’étage. Derrière ce modèle général se rencontrent de très nombreuses variantes : simple pièce d’habitation, vendangeoir bourgeois, vendangeoir-prieuré, vendangeoir-château.

Quelques vendangeoirs remarquables

À Orgeval, le vendangeoir d’André-Simon Laurent, notaire royal et greffier en chef de la maîtrise des Eaux et Forêts de Laon dans la première moitié du XVIIIème siècle, est une harmonieuse demeure de pierre aux pignons « gradinés » ou « en pas de moineau », symétrique, avec un seul escalier à double révolution. Les clefs de voûte des linteaux de fenêtre, aux motifs floraux, les appuis de fenêtre cintrés, témoignent d’un raffinement typique du Siècle des Lumières. Ce raffinement n’exclut pas l’efficacité : des conduits d’aération sont par exemple ménagés dans les celliers pour évacuer le gaz carbonique.

À Vorges, le vendangeoir de Claude Chevalier, avocat en parlement et capitaine de la ville de Laon à la fin du XVIIème siècle, s’écarte davantage du modèle général. Il se compose d’un grand corps de logis en briques et pierres. La nappe phréatique se trouvant presque à fleur de sol, une cave a été artificiellement construite dans le jardin, recouverte de terre et d’un labyrinthe végétal. Les celliers, la cuisine et les bâtiments d’exploitation, en pierre, sont disposés à côté du bâtiment principal, de manière symétrique. Certains détails sont à noter, comme le dallage à bouchons (XVIIIème siècle), l’enduit rose surmontant le linteau des fenêtres, ou le sarcophage mérovingien servant d’abreuvoir !

À Bourguignon-sous-Montbavin, le très beau logis situé 3 rue des Vendangeoirs, recèle un cellier de toute beauté, avec un escalier à ressauts d’origine médiévale. Le vendangeoir de Jean-François de Martigny, lieutenant général au bailliage de Soissons à la fin du XVIIème siècle, est resté depuis dans la descendance. Il témoigne bien des évolutions architecturales au fil du temps, puisqu’il juxtapose une petite maison, un grand corps de logis du XVIIème siècle, et un bâtiment construit avec les dommages de guerre.

La maison des frères Le Nain, enfin, a effectivement abrité des peintres Antoine, Louis et Mathieu pour leurs études des scènes champêtres. À côté du cellier, la petite pièce d’habitation destinée au personnel vigneron donne encore l’image d’une demeure du XVIIème siècle. Sous le jardin, la cave d’origine médiévale est remarquable.

La Maison Rouge

Etienne L'Evêque, seigneur de Monceau-le-Wast, lieutenant général de police à Laon, possédait en 1755 dans la ruelle de la porte Bigeot, au sud-est de Beaurieux, une maison qu'il agrandit d'une masure y attenant ; elle se composait d'un corps de logis précédé d'une cour et d'une porte cochère, écurie, fournil, bûcher, puits, colombier, vendangeoir, jardin clos de mur de 7 ares, avec un clos de vigne mitoyen d'un hectare et demi et deux logements de vigneron.

Elle passa par héritage à Louise-Charlotte-Thérèse D'Y, dame de Missy, mariée en 1770 à Armand-Louis De Rogres De Lusignan, marquis de Champignelles, maréchal de camp, seigneur de Missy, qui émigra, et fut vendue comme bien national en 1793 à Antoine Boulanger, ancien receveur de la seigneurie, pour 16.100 livres en assignats.

Le vendangeoir, fût remanié en 1854, reconstruit en briques au siècle dernier, brûlé par mégarde par les Anglais qui en avaient fait leur QG en 1918 et relevé à nouveau ; désormais la propriété de Mme Hanotaux, veuve de Karl Hanotaux, conseiller général.

Extrait de « Secrets et Histoire de Vendangeoirs en Pays Laonnois », du comte Maxime de Sars.